vendredi 20 mars 2015

Rien n’y aura fait : l’église Sainte-Rita, sis 27 rue François Bonvin dans le 15e arrondissement de Paris, sous le coup d’une procédure d’expulsion, est vouée à la destruction. La dernière messe se déroulera ce dimanche 22 mars 2015. C’est une triste nouvelle pour les habitants du 15e arrondissement (dont je suis) et plus largement pour le patrimoine cultuel et religieux car cette église était connue dans le monde entier pour sa dévotion à la patronne des causes désespérées mais aussi pour sa bénédiction annuelle des animaux. Chaque mois de novembre, chameaux, poneys, poissons, chiens, chats, oiseaux, et leurs maîtres investissaient la petite église, nichée dans la ruelle bordant l’annexe de l’Unesco. C’est Monseigneur Philippe qui était le propriétaire des lieux. Fervent et fidèle dévot de Sainte Rita, très jeune déjà, il avait une grande confiance en l’avocate des causes désespérées. Puis, à la suite d’heureuses circonstances, il obtint la cession de la belle église du 27 rue François Bonvin, qui devint la cathédrale de l’Eglise catholique Gallicane de Paris (le gallicanisme est la doctrine qui défend les libertés de l’Eglise catholique en France contre le centralisme de la papauté). Ainsi, chaque dimanche matin, après une messe basse donnée pour le repos des âmes du purgatoire, Monseigneur Philippe célèbre en latin la messe pontificale. Chants grégoriens, fumées d’encens, huissier en tenue indiquant aux fidèles les moments où ils doivent se lever agrémentent les offices devenant des mises en scènes théâtrales et folkloriques. Après des mois de conflits juridiques, l’église fermera bientôt ses portes aux fidèles. Malgré la lutte de l’association de sauvegarde qui s’était constituée, Monseigneur Philippe jette l’éponge. Le conflit oppose l’association cultuelle catholique apostolique gallicane (de Monseigneur Philippe) au propriétaire, une association cultuelle apostolique universelle située en Belgique et au promoteur, la société Lamotte en Loire-Atlantique. Des logements sociaux et des parkings sont prévus pour remplacer la petite église (source, Le Figaro.fr, 15/03/15). Rien n’est cependant perdu. Le Maire du 15e arrondissement, Philippe Goujon, se bat pour défendre ce dossier, et depuis peu, Frédéric Lefebvre, député de la première circonscription des Français établis hors de France (Amérique du Nord) est entré dans la ronde. Ensemble, ils pourraient étudier des solutions. Même Bill Gates s’est penché sur le dossier, sensibilisé par un reportage diffusé par Reuters en novembre dernier sur la messe des animaux. L’association de sauvegarde, elle, tente d’obtenir le label « Patrimoine du XXe siècle » pour protéger l’église. Décidément, le patrimoine religieux est un patrimoine en péril. Si bien souvent les églises parisiennes se meurent dans l’indifférence des politiques publiques qui réduisent leurs budgets dédiés à leur restauration et à leur entretien, et non des moindres, citons St Augustin, la Madeleine, St Eustache, St Sulpice, Notre Dame de Lorette, St Séverin, gageons que l’appui des responsables politiques du 15e arrondissement et l’occupation annoncée par l’association de sauvegarde « Les arches de Ste Rita » jour et nuit de l'église à partir de lundi prochain trouve une issue favorable à un conflit larvé.

samedi 14 mars 2015

Le groupe britannique Muse revient aux affaires trois ans après avoir enchaîné les concerts dans le monde entier, avec un nouvel album intitulé Drones qui sortira en juin. Son premier titre est sur la toile depuis deux jours. A peine sorti, Psycho crée la polémique : certains l'adorent, d’autres le détestent. Le groupe avait annoncé un son plus proche de ses premiers albums et en effet dès le premier titre, à l’écoute on s'aperçoit d'un net retour sur un plan rythmique et mélodique à des sons électroniques travaillés et à des séquences chantées plus courtes, très éloignées de certaines des envolées lyriques que l’on connaissait chez Mattew Bellamy. La musique de Muse n’est pas une musique « rempli de paroles dépressives avec ce qu’il faut de guitares vénères pour dénoncer le grand complot mondial » (Lesinrocks.fr, 13/03/15). C’est avant tout un travail original qui ne ressemble à aucun autre, et qui propose une musique renouvelée à chaque album. Muse a annoncé que son septième album aurait pour thème la « troisième guerre mondiale », le « lavage de cerveau », les « drones ». « Le monde est dirigé par des drones dans le but de nous transformer tous en drones. Cet album explore le parcours d’un être humain, depuis l’abandon et la perte de l’espoir jusqu’à leur endoctrinement par le système pour devenir un drone humain, jusqu’à leur défection éventuelle devant leurs oppresseurs » (source : recueils de propos de Mattew Bellamy, Virginradio.fr, 14/03/15). Pas réjouissant certes, mais peut-être le côté sombre de cet album est-il une façon de répondre aux fans qui avaient reproché un côté trop dubstep dans l’opus précédent ? Il est vrai que Muse nous avait déçus en 2010 puis en 2012 avec deux albums destinés au grand public, au détriment de la « patte » Muse que nous connaissions. Le sublime Absolution, le génialissime Origin of Symmetry et le fameux Blach Holes and revelations avaient fait sauter dans tous les sens chaque parcelle de mon corps. The Resistance et The 2nd Law m’avaient laissée perplexe (plus de riffs endiablés, expérimentation vocale douteuse). Le nouvel opus enverra a priori du lourd, si l’on se réfère à son premier titre ! Le premier son rappelle Plug in Baby. Bon signe. La voix de Bellamy arrivant, elle rappelle New Born. Je retrouve son énergie et son timbre particulier. Muse est bien de retour : sortie teasing d’un autre titre le 23 mars prochain, Dead inside, avant une attente de quelques mois pour la sortie de l’album (8 juin). Post plus complet à venir !

vendredi 13 mars 2015

Cette semaine, la disparition brutale de Florence Arthaud, Camille Muffat et Alexis Vastine ont majoritairement occupé les unes de nos écrans et des pages de nos journaux. L’annonce fut un choc, notamment en ce qui me concerne par rapport à Florence Arthaud, une figure féminine qui incarnait la liberté, j’oserais même dire une certaine forme de culot. La culture est donc dans ces cas au niveau des médias reléguée à un second plan. Il est regrettable que seuls quelques entrefilets furent consacrés au décès du maître du manga japonais : Yoshihiro Tatsumi. Mort il y a six jours à l’âge de soixante-dix neuf ans, il fut l’un des tout premiers à aborder dans les bandes dessinées des thèmes graves. Né en juin 1935 à Osaka, il publie dès son adolescence à l’âge de 17 ans (Kodomojima), avant de faire partie d’un nouveau courant qui développe des personnages dotés d’une épaisseur psychologique. Explorateur de l’âme humaine, il en saisit les recoins sombres. Il invente le terme « gekiga » pour désigner cette forme de manga noire, par opposition aux œuvres enfantines de Tezuka. D’autres auteurs de BD se retrouveront dans ce courant, tels que Masahoko Matsumoto et Takao Sato. Yoshihiro Tatsumi se fait connaître en Europe dans les années 80 grâce au journal suisse « Le cri qui tue » et par la maison d’édition française Cornelius où il est publié. Invité au festival d’Angoulême en 2005, il publie l’année suivante son autobiographie riche de huit cent pages, adaptée en film d’animation en 2011 par Eric Khoo. Il est heureux que Katsuhiro Otomo, auteur plus jeune de manga japonais ait remporté le grand prix d’Angoulême en janvier 2015. Il est le premier de ce genre japonais de bande dessinée à remporter la prestigieuse récompense, et je trouve que c’est une très belle nouvelle page qui s’écrit, Tatsumi parti. Ces derniers jours s’en est allé un autre géant, l’auteur britannique Thierry Pratchett. Mort à l’âge de soixante-six ans, il était atteint d’une forme rare de maladie d’Alzheimer et avait milité à la fin de sa vie pour le droit à l’euthanasie. Journaliste puis communicant, il se lance dans l’écriture en 1983 avec La huitième couleur. Avant de ne plus finir d’écrire ! Pratchett a écrit une œuvre foisonnante de plus de soixante dix romans, dont sa série à succès Les annales du disque-monde. Grande saga, dont la lecture pourrait se comparer à la montée de l’Everest, on peut s’y atteler dans l’ordre car il y a des éléments feuilletonnesques, des personnages récurrents et évolutifs, comme le Mage Rincevent, la Mort, le commissaire Vimaire ou Mémé ciredutemps. On lui doit aussi le magnifique livre écrit à quatre mains avec Neil Gaiman, De bons présages, l’histoire d’un ange et d’un démon installés à Londres et qui vont empêcher Dieu et Satan de détruire la Terre et ses habitants, enfin n’oublions pas son dernier livre, A slip of the Keyboard, une sorte de livre d’adieux qui rassemble des discours sur la protection des animaux, sa maladie, la presse … Thierry Hatchett fut l’un des rares auteurs à combiner la science-fiction à l’humour … so british ! Parlons toujours littérature et actualité : mercredi 18 mars prochain à 20H50, un autre géant, mais celui-ci américain et toujours vivant, Philip Roth, donnera sa dernière interview télévisée. C’est du moins ce qu’il a annoncé car un peu à la manière de D’Ormesson, il a le chic d’annoncer au public français presque tous les ans : « ce sera ma dernière interview » (« mon dernier livre », dirait D’Ormesson, trait d’humour qui me fait rire derrière mon écran ). Et de les revoir plus tard, et de les revoir plus tard en compagnie d’un journaliste pour l’un ou un livre à la main pour l’autre. La prose de Roth accroche l’attention de ses amateurs comme peu de romanciers savent le faire. Le style est alambiqué. Les intrigues complexes. La psychologie des personnages disséquée. Un pur régal ! Au vu de l’immense qualité de la littérature de Roth (mais cela ne reste que mon humble avis et par conséquent celui-ci est subjectif), de l’aspect fort probablement chronophage de ses activités d’écriture, peut-être a-t-il tout simplement envie d’échapper enfin à une forme de servitude que représente parfois l’écriture? Réponse mercredi, s’il « raccroche » ou non « les crampons », pour revenir à mon amour du sport !

 

mercredi 4 mars 2015

Bonjour ! Aujourd’hui je suis avec vous pour vous parler de ce que j’ai pu voir dans les salles obscures, et plus particulièrement pour vous relater de mes impressions sur le film qui m’a le plus marquée depuis le début de l’année 2015 : Imitation game. Réalisé par un cinéaste norvégien, du nom de Morten Tildum, interprété entre autres par les acteurs Benedict Cumberbach et Keira Knightley, il revient sur la vie d’Alan Turing, le mathématicien grâce auquel je peux vous écrire, puisqu’on lui doit d’avoir inventé les premières machines capables de résoudre des calculs, même basiques. C’est un homme fascinant dont on savait peu de choses sur sa vie jusqu’à présent, si ce n’est son travail collaboratif avec l’armée sur des projets secrets, ses mœurs privés, et son fameux « test de Turing » permettant de savoir si l’on communique à une intelligence artificielle. Le film est très intéressant car il nous apprend beaucoup de choses sur ce personnage méconnu : sa carrière professionnelle, comment il est parvenu à une telle carrière, son homosexualité pour laquelle il fut condamné et contraint de suivre un traitement de castration chimique... Le récit se concentre pourtant sur un aspect plus pointu, c’est-à-dire le récit de l’extraordinaire histoire de la création d’une machine censée décoder les messages encodés par les Allemands à l’aide d’une autre machine répondant au nom d’Enigma. Constituée d’une série de pistons avec des lettres à leur extrémité, elle fait l’objet de toutes les recherches de Turing et de ses collègues, jusqu’à une montée de tension formidablement mise en scène, le fameux Eureka qui s’opère au détour d’une discussion banale dans un café. Turing et son équipe se précipitent alors dans leur salle de recherches. Les bobines sous leur action se mettent à tourner bruyamment et frénétiquement avant de s’arrêter brutalement. Si l’histoire se concentre principalement dans le lieu de recherches de Turing et de ses camarades, elle n’en est pas moins intéressante sur le plan de la reconstitution historique. En effet, de nombreuses images de guerre, qui ne sont pas des séquences de guerre à proprement parler mais des scènes d’après-guerre (bombardements de civils à Londres, femmes hommes et enfants se réfugiant dans le métropolitain) situent l’histoire et permet au spectateur d’être pleinement investi dans le récit du film. Quelques morceaux d’archives originales sont montrées. Ainsi, cette contextualisation de la recherche des personnages principaux permet de faire planer une menace sur les personnages telle une épée de Damoclès, et de ne pas tomber dans le piège du récit d’une quête scientifique qui se déroule hors du temps. Les personnages par ailleurs ont une personnalité dont les caractéristiques sont très bien développées. Alan Turing, malgré son asociabilité et son comportement étrange, est attachant. Le personnage féminin interprété par Keira Kneightley lui aussi est bien cerné sur un plan psychologique. Les camarades de Turing ne sont pas en reste. Turing est en effet entouré de quatre camarades, dont l’un fait toutefois plus office de figuration, alors qu’un autre sera l’objet de la révélation d’un secret dont les ressorts sont judicieusement mis en place dès le début du film. La construction du film est justement très astucieuse. Le film commence dans les années cinquante, lors d’un interrogatoire de Turing après-guerre, puis en flashback on revient ensuite quelques années en arrière lors du recrutement de celui-ci dans l’armée. Contrairement à beaucoup de films le retour à la scène de départ ne se fait pas à la fin du film, mais à mi-chemin. Au moment où l’on y revient, sont déjà enclenchés les deux grands axes, ou timelines, qui permettent de comprendre cette scène, à savoir l’enfance de Turing et sa recherche, en d’autres termes qui est-il, et ce qu’il fait. Encore plus maligne est la fin du film qui va bien au-delà sur un plan strictement chronologique que l’interrogatoire de Turing… Imitation game est un film juste, intelligent, fort, qui ne se complaît pas toutefois dans ce côté intelligent car les dialogues sont accessibles.

vendredi 27 février 2015

Je reviens aujourd’hui sur mon blog pour vous livrer mes impressions personnelles à propos de ma visite d’une exposition qui est présentée depuis le 12 février 2015 au musée Marmottan-Monet : "La toilette, naissance de l’intime". Ce sujet m’intéressait car d’une part il croise selon moi l’histoire des arts et celle de la culture occidentale, et d’autre part il parle aux sens, à la suavité charnelle de sentir son corps propre, à quelque chose de l’ordre du raffinement et de la préciosité qui me touchait beaucoup. Je n’ai pas été déçue. L’exposition commence avec la Renaissance, une période durant laquelle la femme fait sa toilette en présence d’hommes, d’enfants. On ne la représente que partiellement, seule la partie supérieure du buste nous est délivrée au regard, comme le montrent de nombreuses toiles de la seconde école de Fontainebleau dans la première salle. Ainsi, dans le Portrait présumé de Gabrielle d’Estrées et de la duchesse de Villars au bain (fin du XVIe siècle, Montpellier, Musée languedocien), ces deux dernières prennent une sorte de bain rituel, mais ces dames sont apprêtées, portent une chemise certes fine et presque transparente mais qui dissimulent leurs formes. Le réalisme n’est pas de la partie. Le registre est celui de l’allégorie, celle de la fécondité, de la beauté. L’eau n’est pas encore présente dans le rituel de la toilette. Elle favoriserait, pensait-on à l’époque, la propagation des maladies. Il faudra attendre le 19e siècle pour que la toilette sèche cède la place à la volupté des bains où le corps s’immerge dans l’eau, ou de petites toilettes plus ciblées à l’aide de brocs. Ces lavages partiels sont initiés dès le 18e siècle : l’eau commence à être davantage acceptée. Quantité de représentations montrent des femmes baignant leurs pieds dans des cuves ou se lavant leur intimité. Ces femmes s’isolent pour effectuer ces actes et on comprend au fil du parcours chronologique qu’une volonté de privatisation entre dans les mœurs. Aussi, les images peuvent être assez crues, telle cette femme soulevant sa robe et essuyant ses parties intimes au-dessus d’une cuvette dans La jupe relevée de François Boucher (ca 1742, collection particulière). Cette iconographie est contemporaine d’une invention majeure : le bidet. Des documents agrémentés de dessins et de petits textes attestent du côté révolutionnaire de cette nouvelle pratique d’hygiène. Au XVIIe siècle, la toilette est encore sèche. Abraham Bosse dans La Vue, Femme à sa toilette (après 1635, Tours, musée des Beaux-Arts) a peint une femme assise face à son miroir. Une servante l’assiste. Vêtue d’une longue robe aux matières nobles qui laisse deviner son rang social élevé, elle ne pratique pas d’ablutions. Elle effectue sa toilette avec du parfum, un linge, un fard, ce qui montre qu’elle accorde un soin tout particulier à son apparence et à sa propreté. Le XIXe siècle est sans nul doute dans la peinture occidentale le point d’acmé de cette passion des artistes pour la représentation des femmes à leur toilette. Apparaît alors un nouvel instrument, le tub, qui devient un motif cher aux artistes. Pierre Bonnard a saisi avec son appareil photographique les gestes de son épouse se frottant à l’aide d’une éponge (Marthe au tub, entre 1908 et 1910, Paris, musée d’Orsay). L’ablution est alors générale et ne se limite plus seulement qu’à quelques parties du corps. Edgar Degas s’intéresse aussi à ce motif. Ses modèles se lavent dans une baignoire. Le peintre rend compte de la réalité tout en innovant en cherchant des cadrages novateurs. Ces avancées platiques seront encore plus présentes au XXe siècle avec Picasso notamment, Gonzalez ou Erwin Blumenfeld. L’exposition se clôt notamment avec une photographie prise par Bettina Rheims de Karen Mulder (1996, collection de l’artiste). Le mannequin, drapé dans un linge de coton d’un blanc immaculé, est vêtu d’un soutien-gorge noir qui ne recouvre que l’extrémité de ses seins. Son visage est couvert d’une compresse en gaze humide, trouée au niveau de la bouche et des yeux. Elle est certes déshabillée mais regarde frontalement le spectateur. La femme assume et revendique sa liberté de se dévêtir. Il ressort de cette exposition qu’au fil du temps, s’est opéré un glissement d’une iconographie illustrative célébrant la beauté absolue vers une représentation réaliste dans des espaces de plus en plus fermés. A la croisée de l’art et de la sociologie, La Toilette, naissance de l’intime est une passionnante exposition. Georges Vigarello, historien spécialiste du corps et de la virilité est l’un des deux commissaires. Dans son livre le plus connu, Le propre et le sale, il avait déjà largement abordé la question de l’hygiène, de la netteté et de l’apparence. A travers les choix qu’il a effectué pour l’exposition au musée Marmottan-Monet, apparaît de manière sous-jacente mais non moins présente une autre question mais qui traite aussi de l’évolution des mentalités : la privatisation de l’espace correspondant à une construction progressive de l’individu devant disposer d’un espace propre et qui s’appartient donc à lui-même. Si vous vous rendez rue de la Muette avant le 5 juillet prochain, vous pourrez aussi vous rendre compte de la formidable quête des artistes d’innovation plastique.

mardi 18 février 2014

Chers lecteurs,
Je suspends pendant quelques semaines le blog et vous donne rendez-vous au printemps, le temps pour moi de terminer des travaux d’histoire de l’art. Le mois de février étant très riche en événements, profitez-en ! A très bientôt pour de nouveaux posts

jeudi 6 février 2014

« Les images fixes peuvent raconter des histoires. La plupart du temps, les images fixes racontent de petites histoires. Et il arrive parfois que les histoires intéressantes soient de petites histoires. Les petites histoires se déroulent sur une période très courte. Cependant, la pensée et les émotions peuvent être impliquées quand on regarde une image fixe et les petites histoires peuvent se développer jusqu’à devenir de grandes histoires. Tout ça dépend, bien sûr, du spectateur. Il est quasiment impossible de ne pas voir une sorte d’histoire émerger d’une image fixe. Et ça, je trouve que c’est un phénomène magnifique ». Ce texte de David Lynch ouvre l’exposition de ses travaux actuellement accrochés aux cimaises de la Maison Européenne de la Photographie. Je m’y suis rendue hier soir (mercredi 5 février, soir de gratuité à la MEP) pour la voir. Mes motivations étaient les suivantes : en cinéphile avertie, je connaissais bien l’œuvre de Lynch. Son univers m’a toujours intéressé, quoique dérangé. Par exemple, s’il fallait bien citer un film, je dirais volontiers Elephant Man pour illustrer mon propos. Il est ce genre de film dont on ne revient pas et dont on ne reviendra jamais. Aussi voulais-je vérifier en me rendant rue de Fourcy si son activité méconnue de plasticien correspondait à celle plus renommée de réalisateur, si son œuvre photographique était en phase avec son œuvre cinématographique.  Après avoir lu le texte à l’entrée, je me suis retournée et là était montrée une photographie retouchée : un mouton dans une pièce. M’engageant dans la première salle, je vois des visages sans traits, qui me rappellent certaines peintures de Giorgio de Chirico, un peintre de la Metafisica, dont on dit souvent qu’elles dégagent une « inquiétante étrangeté ». Un peu plus loin, je lis sur un cartel, Window with Head : une fenêtre avec tête ? Je regarde en détail la tête, mais ne reconnais aucun signe distinctif d’un visage humain, si ce n’est peut-être une sorte d’ocelot qui me fait penser à un œil. Je sens toutefois quelque chose d’organique, mais c’est passé par le cerveau de Lynch comme un linge à la machine, alors ce quelque chose d’organique est malaxé comme de la pâte à modeler, trituré, torturé pour résulter en une boule de chair sans vie, à peine est-ce supportable à voir. Windows with Plant me soulage, temporairement. Man laughing me fait presque rire (à défaut de pleurer) : c’est une tête d’homme qui ressemble à E.T l’extraterrestre. A côté un revolver : violence. Je passe assez vite devant les œuvres et me retrouve dans une galerie où sont présentées une série de têtes (Head) sans traits humains, rien qu’une surface lisse cernée d’un trait pour délimiter les contours du visage et du cou. L’une d’elles active les centres de la douleur dans mon cerveau : à l’intérieur de l’aplat entouré d’un cerne est insérée une photographie d’une denture avec appareil de bagues en acier. Si la photographie était placée à l’endroit où se trouve d’habitude la bouche, les choses auraient été dans l’ordre. Mais ici, la bouche est montrée à la verticale. Elle  se mue en une sorte de cicatrice du visage non refermée, hypothétiquement soignée par des soutures au fil de fer. J’ai atteint la limite du supportable et veux gagner la sortie. Mes pas m’entraînent vers une autre salle où je passe très rapidement : une araignée géante vue sur une œuvre me donne l’impression qu’elle est sur mon épaule. A défaut de comprendre l’œuvre de David Lynch, je ne puis qu’exprimer mes émotions subjectives devant tant de noirceur. Pour le coup, la fidélité à ce qui le hante dans son œuvre cinématographique est parfaite. Son activité plastique est dans la droite ligne : déformations, retouches, jeu sur les échelles (les œuvres de Lynch sont aussi faites de ces intérêts là, ce qui sauve un peu ma visite). Sombre, menaçant : tel est l’univers de l’artiste. L’exposition s’intitule Small stories, mais absolument rien de narratif n’a à voir avec ce que j’ai regardé.  Le texte d’entrée m’avait prédit quelque chose de romancé. Mais ce fut tout le contraire. Elles ne racontent pas grand-chose ces photos, elles nous font ressentir des choses et des choses qui vous remuent le ventre ! Une phrase du plasticien lue dans une monographie à la librairie-boutique exprime mieux ses intentions je trouve : « I like going into strange worlds ». Comme pour Elephant Man, on ne revient pas de cette exposition !